5.1.08

Communiqué du CRLDHT : Tunisie - Après la détention au secret, le "procès au secret"?

C.R.L.D.H.Tunisie
اللجنـة من أجل احترام الحريات وحقوق الإنسان في تونس
Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
Membre du Réseau Euro méditerranéen des Droits de l’Homme
21 ter rue Voltaire – FR-75011 PARIS - Tel/Fax : 00.33. (0)1.43.72.97.34
contact@crldht.org / www.crldht.org

Procès du 4 janvier : Les autorités tunisiennes
ne cessent d'innover !

Aujourd’hui, vendredi 4 janvier 2008, les audiences du procès n° 14504 ont été ouvertes à la première chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis présidée par le juge Hédi Ayari. Il s'agit d'une affaire portant sur des poursuites intentées en vertu de la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent.

Ce procès concerne 30 Tunisiens, 25 d’entre eux sont en état d'arrestation, les autres seront jugés par contumace (Voir le Communiqué du CRLDHT du 03/01/2008). Dés avant son commencement, l'audience d'ouverture du procès a comporté de nouvelles péripéties étonnantes.

Les autorités tunisiennes nous ont habitué au fait que le principe, établi par la loi, de publicité des audiences soit très théorique, les salles étant remplies préalablement de policiers en civil de manière à ce que l'accès en soit de facto interdit. Cette fois-ci, elles ont décidé d'aller plus loin : L'épouse de l'un des prévenus, M. Naoufel Sassi, son frère et ses soeurs ont été encerclés par un groupe d'agents de police à leur arrivée au tribunal à 8h30 ce matin, leur identité a été relevée et ordre leur a été intimé de s'en retourner chez eux sous peine d'être arrêtés. Répondant à leurs protestations, l'officier de police responsable a déclaré qu'il agissait sur ordre du Procureur de la République.

A notre connaissance, les autorités ont jusqu'à présent (y compris pour des audiences "délicates") permis l'accès des conjoints et parents directs des prévenus. Cette nouvelle restriction du champ de l'accès aux droits garantis par les lois nationales comme par les conventions et accords internationaux renforce notre inquiétude quand au déroulement d'un procès dont nous ne comptons plus les irrégularités. Cela d'autant plus que l'audience c'est limitée à la prononciation de la décision de renvoi au 18 janvier 2008 en raison de l'absence de l'un des prévenus.

Le CRLDHT est résolu à suivre de près le déroulement de ce qui ne peut qu'être qualifié de parodie de procès de justice, et à lui donner toute la publicité nécessaire.

Paris, le :04/01/2008

Communiqué du CRLDHT de janvier 2008 : Naoufel Sassi, jugé combien de fois pour les mêmes faits?

C.R.L.D.H.Tunisie
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L’Affaire du 4 janvier 2008
Non à la violation du principe de l’autorité de la chose jugée

Le vendredi 4 janvier 2008 une nouvelle affaire n° 14504 s’ouvre à la première chambre criminelle du Tribunal de première instance de Tunis présidée par le juge Hédi Ayari en vertu de la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent,

Cet énième procès du genre concerne trente tunisiens parmi lesquels certains ont déjà été jugés et cinq le seront par contumace. Arrêtés en 2006, tous ont été victimes d’actes de torture et parfois d’abus sexuels constatés dans les différents centres de détention de la police ainsi que dans les différentes prisons qu’ils ont connu. Beaucoup d’entre eux ont été placés dans des cachots individuels, sans aération ni lumière, privés des moindres soins, de promenade quotidienne et de lecture. Quant à leurs familles, elles vivent l’humiliation au quotidien et sont en butte à toutes sortes de violences et de persécution.

Parmi les prévenus, Mr Naoufel Ben Slimane Sassi, 45 ans, père de quatre enfants, expert en gestion financière et en fiscalité a été arrêté devant son cabinet d’expertise situé en plein centre ville, à la rue El Jazira le mercredi 14 juin 2006 et détenu au secret pendant trois semaines. Sans nouvelles de lui, son épouse, Mme Houda Sassi, a déposé le 21 juin 2006 une plainte pour enlèvement auprès du procureur de la République, enregistrée sous le n° 7028436/2006 après avoir fait le tour de tous les hôpitaux et commissariats de la capitale ; d’autant que Mr Sassi souffre depuis sa dernière libération de violentes crises d’asthme qui nécessitent un traitement médical régulier.

Mr Naoufel Sassi a payé très cher son attachement à ses opinions. En 1990, il a été arrêté et jugé pour « appartenance à une organisation non autorisée » et a passé dix mois de prison ferme après avoir subi de longues séances de torture. En 1993 il est de nouveau arrêté, incarcéré au secret et torturé pendant quarante jours sans aucun jugement ; la famille ignorait tout de cette arrestation. Depuis sa libération, il a passé plus de six ans privé de ses droits les plus fondamentaux au travail, au passeport, à la sécurité sociale, et contraint à un régime très lourd de contrôle administratif.

Dans cette nouvelle affaire, il est poursuivi pour six chefs d’inculpation sur le fondement des articles 11 à 21 de la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003 dont « adhésion à une entente qui a fait du terrorisme un moyen de parvenir à ses objectifs, de l’avoir fait connaître, d’avoir utilisé un nom, un mot et un symbole pour identifier cette organisation, son activité et ses membres, de mise à disposition d’un local de réunion …. «

Il s’avère, suite à des vérifications, que des parties entières du dossier d'accusation de l'affaire en cours proviennent du dossier d'instruction du procès de 1990 pour lequel M. Sassi a déjà été condamné et a purgé sa peine. Les interrogatoires, les chefs d'inculpation et les différents témoignages sont identiques ; il s’agit d’une opération "copier/coller", par conséquent M. Sassi sera jugé deux fois pour les même faits !

La justice tunisienne a des antécédents quant à la violation du principe de l’autorité de la chose jugée. Il arrive souvent qu’elle défère le même prévenu, plusieurs fois devant la justice pour le même motif et les mêmes faits, dans le but d’exercer des représailles. Or, Le code de procédure pénal tunisien, en harmonie sur e pint avec le droit international, interdit de poursuivre ou de punir pénalement un individu pour une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné conformément à la loi par un jugement pénal entré en force. Les exemples sont multiples comme les dirigeants politiques du mouvement Ennahdha, MM Daniel Zarrouk, condamné à quatre reprises pour maintien d’organisation politique non reconnue, Frej Jami, condamné pour le même motif d’appartenance à deux reprises, Hamadi Labidi, condamné pour les mêmes accusations d’appartenance politique, Adel Ben Amor, condamné à deux reprises pour les mêmes accusations, Sadok Chourou, Ridha Boukadi, Mondher Bejaoui, Houcine Ghodhbane, Ramzi Khalsi….

Sous la présidence du juge Hédi Ayari, les citoyens Ahmed Amari, Khaled Rabii, Youssef Khedhri, Zouheir yakoub et Choukri Gargouri furent déférés devant le tribunal de première instance de Tunis, dans trois affaires 590, 591 et 595 déjà jugées par la cour d’appel de Sfax dans les deux affaires n°8672, en date du 16 décembre 1999, et n°8506. Ils furent de nouveau jugés par la cour d’appel de Tunis dans l’affaire 28423 en date du 1 juin 1999. Ils étaient donc poursuivis pour les mêmes faits.

Le CRLDHT considère que ces condamnations sont contraires au droit international, et en flagrante contradiction avec les lois tunisiennes en vigueur.

Le CRLDHT considère que le but de ces procès iniques est en réalité la criminalisation des droits fondamentaux des tunisiens, à savoir le droit à l’expression, à l’organisation et à la différence.

Il s’insurge contre l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir pour réprimer les dissidents tout en alertant l’opinion publique nationale et internationale sur l’état de délabrement de l’institution judiciaire tunisienne matérialisé notamment par le sort réservés aux juges les plus intégrés représentés par la direction on légitime de l’AMT ( association des magistrats tunisiens).

C’est la raison pour laquelle le comité place la revendication de la libération immédiate de citoyens comme M. Naoufel Sassi comme l'une des causes prioritaires du combat pour une justice impartiale et pour le respect des droits humains.

Paris, le 3 janvier 2008

Note de la FIDH sur la Tunisie à l'attention d'une commission de l'ONU : Torture et loi antiterroriste

Extrait de la Note sur l’état des libertés en Tunisie à l’attention du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies en vue de l’adoption à sa 91e session d’une liste de question sur la Tunisie –

Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) - 5 novembre 2007


(…) Le code de procédure tunisien prévoit un nombre suffisant de garanties pour prévenir les risques de détention arbitraire et d’actes de torture : Délais de garde à vue à 6 jours ; obligation d’informer la personne placée en garde à vue de son statut, du motif de son arrestation, des garanties légales dont il bénéficie ; obligation d’informer la famille de l’arrestation ; droit pour la personne placée en garde-à-vue de demander un examen médical ; obligation de tenir un registre spécial mentionnant tous les évènements importants de la garde à vue. Mais les garanties prévues par le code de procédure pénal sont violées quasi systématiquement, au bénéfice des auteurs d’actes de mauvais traitement et de torture. Pire, la justice tunisienne fournit la principale justification à l’action des tortionnaires en condamnant les accusés, sur la base exclusive des aveux obtenus lors de la garde-à-vue dans les locaux de la sécurité de l’Etat.

Et comme le note le CNLT, « la recrudescence de l’usage de la torture sur des prisonniers a été l’un des effets les plus notables de l’application de la nouvelle loi sur le terrorisme ». En effet, entre 2005 et 2007 la quasi-totalité de ceux qui ont été arrêtés en vertu de la loi anti-terroriste se sont plaints d’avoir été torturés lors d’interrogatoires menés par des fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur. Dans son rapport, le CNLT documente 19 allégations de torture (23) mais, il existe des allégations concernant de nombreux autres cas (24). Très récemment, le 16 octobre 2007, à la prison civile de Mornaguia, une trentaine de prisonniers, arrêtés suite aux affrontements armés de fin décembre 2006 – début janvier 2007 et détenus dans le cadre de la loi anti-terroriste de 2003, auraient été torturés par des agents pénitentiaires afin de les contraindre à mettre fin à une grève de la faim illimitée. Cette grève a été lancée le 13 octobre pour exiger la fin des mauvais traitements et leur respect de leurs droits, notamment le droit à un procès équitable (25).

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(23) Ces affaires concernent notamment Mohamed Amine Jaziri, Ali Arfaoui, Zied Ghodhbane, Mohamed Trabelsi, Nejib Al-Ayari, Borhane Dridi, Ghaith Ghazouani, Maher Beziouch, Khaled Arfaoui, Hichem Mannai, Mohamed Amine Hedhili, Anis Krifi, Salaheddine Habbouria, Slim El Habib, Nader Ferchichi, Tarek Hammami, Sofiene Rezgui, Naoufel Sassi.

(24) Par exemple les cas de Mahfoudh Sayadi, Walid Guaddhab et Hamdi Hajj Romdhane, qui auraient été maintenus au secret et torturés pendant plusieurs jours et nuits.

(25) Les déténus qui auraient été torturés seraient Ali Sassi, Marouane Khlif, Mejdi Latréche, Sahbi Naceri, Taoufik Houimdi, Zyed Essid, Mohammed Ben Ltaifa, Badreddine Ksouri, Imed Ben Ameur, Kamel Oum Heni, Saber Ragoubi, Fathi Salhi, Ali Arfaoui, Mohammed Amine Dhiab, Jaouher Slama, Jaouher Kassar, Mehdi Elhajj Ali, Oussama Abadi, Moukhliss Ammar, Zouhai_r Jrid, Oua’il Amami, Mohammed Khlil Ben Mohsen Zendah, Ramzi Eliifi, MohammKhlifa Karaoui.

Article de M. Thibodeau d'octobre 2007 : La torture, "système d'Etat" en Tunisie?

Le samedi 27 octobre 2007

La torture interdite ou «système d'État»?

Marc Thibodeau - La Presse, Paris

Le régime tunisien dit interdire le recours à la torture contre les détenus et persécuter systématiquement les agents qui contreviennent à ce mot d'ordre. Les témoignages contredisant ces dires ne sont cependant pas rares.

Jamila Ayed, âgée de 45 ans, affirme que son fils de 26 ans, Maher Bziouech, a été arrêté par le gouvernement à l'été 2006 pour terrorisme, une accusation qui est, selon elle, sans fondement. Il a été condamné à dix ans de prison.

Le jeune homme affirme avoir été torturé sévèrement dans les jours suivants son arrestation. Mme Ayed relate qu'il aurait notamment été battu longuement après avoir été placé dans la position du «poulet rôti». Dans cette technique, la personne se retrouve dénudée, la tête en bas, suspendue en l'air par une barre passée derrière les genoux. Les mains sont attachées près des pieds.

Houda ben Khaled, 43 ans, réclame la libération de son mari, Naoufel Sassi, arrêté lui aussi l'année dernière dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Son conjoint, qui n'a pas encore subi de procès, dit également avoir été torturé, souligne-t-elle.

Il affirme avoir été soumis à la technique du «bano». Le prisonnier, pendu par les pieds avec une corde, est plongé dans l'eau jusqu'à la taille, les mains attachés derrière le dos, et maintenu sans oxygène pendant une longue période.

Les deux femmes disent qu'elles ne craignent pas de s'attirer les foudres du régime en parlant aux médias étrangers. «C'est mieux que de rester les bras croisés pendant dix ans», souligne Mme Ayed.

L'Agence tunisienne de communication extérieure n'a pas répondu aux demandes de La Presse relativement aux dossiers des deux détenus.

Abdelmoumen Belanes, un dissident connu qui a été plusieurs fois incarcéré dans les années 90 en raison de son appartenance à une formation communiste non reconnue par le gouvernement, souligne que le recours à la torture est érigé en «système d'État» en Tunisie.

L'homme de 51 ans affirme avoir été torturé plusieurs fois par les autorités, notamment avec la technique du «bano». «Ils me sortaient à chaque fois que j'étais au bord de l'étouffement et recommençaient dès que j'avais craché l'eau», a-t-il relaté. M. Belanes affirme également avoir été soumis au «poulet rôti» et à des chocs électriques.

L'organisation Human Rights Watch prévenait dans un récent rapport que la Tunisie a «une longue historique de torture et de mauvais traitement de prisonniers».

L'expulsion du controversé imam Saïd Jaziri, qui disait craindre d'être arrêté et torturé à son retour dans son pays d'origine, a relancé l'intérêt pour cette question au Canada.

L'ambassade tunisienne, réagissant au fait que l'imam a pu rentrer sans heurt, a souligné dans une lettre ouverte que le pays est «un État de droit» qui «respecte la dignité humaine, garantit l'intégrité physique et morale de la personne et ne tolère aucun traitement dégradant envers les citoyens.»

Elle a souligné, par la même occasion, la «déplorable surenchère dans la vente du sensationnel» par des journalistes «ayant les yeux fixés sur l'audimat».

http://www.cyberpresse.ca/article/20071027/CPMONDE/710270535/1014/CPMONDE

Communiqué de Liberté et Equité d'octobre 2007 : Grève de la faim des familles des prisonniers

Liberté et Equité
33 rue Mokhtar Atya, 1001, Tunis - Tel/fax : 71 340 860 Email : liberté_equite@yahoo.fr

Tunis, le 9 octobre 2007

Nous avons reçu une lettre de familles de prisonniers d'opinion dont les noms suivent : Familles de Boubaker Cherradi, Maher Beziouche, Jassam Mokni, Khaled Arfaoui, Mahmoud Ayari, Mahjoub Zayyani, Tarek Hammami, Les frères Nasri, Aymen Dridi, Bilel Marzouki, les deux frères Herzi, Chaker Jendoubi, Hichem Beldi, Slim Habib, Mustapha Mihoub, Mohammed Touahami Yacoub, Rabi'i Khelifi, Mohammed Ali Horchani, Hichem Saadi, Aymen Limam, Ahmed Souheïli, Hassem Abdessamad, Nidhal Boulaabi, Ghaith Ghazouani, Sami Rbi'i, Mohammed Abbachi, Radhouane Fez'i, Ramzi Ben Saïd, Naoufel Sassi, Anis Hedhili, Hazem Draouil, Nader Ferchichi, Mohammed Ben Mohammed, Les deux frères Layouni, Karim Belloumi, Mohammed Amine Aoun, Hassan Ben Brahim, Abdelwahab Ayari.

Elles sont déterminées à faire une grève de la faim à l'occasion des deux jours de l'Aïd afin de protester contre :

Les arrestations infondées de leurs fils et des leurs, et leurs condamnations arbitraires.

Les violations commises en prison, allant jusqu'aux sévices et à la torture

Les brimades dont leurs familles font l'objet

La négligence sanitaire, la malnutrition et les très dures conditions carcérales

Les familles souhaitent attirer l'attention de l'opinion publique, tant à l'intérieur qu'à l'étranger, sur la question de la jeunesse pratiquante en butte à toutes sortes de brimades, allant des arrestations aux procès et à la torture, alors qu'elle n'a rien commis de répréhensible.

Pour le bureau exécutif de l'organisation

Maître Mohammed Nouri

(traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)

Rapport du CNLT sur les procès antiterroristes (printemps 2007) : Détentions au secret, torture et falsifications

Extraits du rapport :
Procès jugés en vertu de la loi antiterroriste en Tunisie
Justice préventive et instrumentalisation politique
CNLT, Tunis : juin 2005-mars 2007

(…)
3- Détention au secret et refus d’informer la famille

La loi fait obligation à la police d’informer la famille de l’arrestation et du lieu de détention du prévenu. Non seulement la famille n’est généralement pas informée du lieu de détention lorsque l’arrestation a lieu au domicile du prévenu, mais parfois, le prévenu est kidnappé dans la rue et détenu au secret (cas de Salah Chalghoumi détenu au secret durant 20 jours). Ce n’est qu’à l’étape de son passage devant le juge d’instruction et une fois qu’il est écroué à la prison que la famille finit par être informée de son lieu de détention par des moyens souvent détournés comme les coups de fil anonymes (Borhan Dridi, Khaled Arfaoui, Slim Habib) ou par le biais de la famille d’un autre détenu (Milad Houimdi). Là aussi, les PV de la police signalent uniformément que la famille a été alertée du lieu de détention du prévenu.

La famille de Hichem Manai certifie que celui-ci a subi une détention au secret de dix jours. La famille de Maher Beziouch certifie avoir appris sa détention à la prison du 9 avril de Tunis, à la date du 16 juin 2006, lorsqu’elle fut contactée par la famille d’un codétenu. Le PV de garde-à-vue établi le 8 juin 2006 précise néanmoins que le père de Maher avait été dûment prévenu de cette mesure Maher Beziouch a déclaré à sa famille avoir été livré par les autorités libyennes à la date du 28 mai 2006. L’épouse de Naoufel Sassi a déposé le 22 juin 2006 une plainte (N°7028436/06) pour la disparition de son mari sur les lieux de son travail, auprès du procureur de la République (voir document annexe). Le PV de garde-à-vue indique qu’il a été interpellé à la date du 4 juillet 2006.

(…)

19 - Cas de Naoufel Sassi (dossier d’instruction N°5962/1)

Monsieur Naoufel Sassi, un expert comptable âgé de 45 ans, a été enlevé le 14 juin 2006 alors qu’il se trouvait dans son cabinet situé à Tunis, rue Al Jazira. Emmené au ministère de l’Intérieur il a été battu sur toutes les parties du corps puis obligé durant quatre jours d’affilée à rester debout, enchaîné. Dès qu’il vacillait aspergé d’eau et battu. Il a déclaré avoir signé le PV, sans le lire, à la suite de ces séances de privation de sommeil.

(…)

Bien que le législateur ait défini avec précision les garanties dont bénéficie le prévenu à toutes les étapes de la procédure judiciaire, et que les obligations de la police judiciaire soient clairement précisées concernant les conditions d’arrestation, de garde à vue, le CNLT a enregistré que dans ces affaires, le traitement du prévenu se fait généralement hors du cadre de la loi. Arrestation sans mandat et hors des horaires prescrits par la loi ; Falsification des PV pour prolonger les délais de garde à vue ; Détention au secret et refus d’informer la famille sont des pratiques courantes, bien que décriées par les avocats.

- II - Tableau de falsification des PV

Nom du prévenu ; N° de l'affaire ; Date officielle de l'arrestation (PV) ; Date réelle

1 Limem Aimen ; 1370/1 ; 27/07/05 ; 20 /07/05
2 Rezig Soufiène ; 5190/1 ; 25/04/06 ; 18 /04/06
3 Weslati Riadh ; 6020/10 ; 07/06/06 ; 16 /06/06
4 Layouni Walid ; 7790/10 ; 17/01/07 ; 11 /12/06
5 Jaziri Mohamed Amine ; 7717/1 ; 22/01/07 ; 24/12/06
6 Kassar jawher ; 7717/1 ; 21/01/07 ; 26/12/06
7 Banani Nafti ; 7717/1 ; 25/01/07 ; 08/01/07
8 Sassi Naoufel ; 5962/2 ; 04/07/06 ; 14/06/06
9 Zayani Mahjoub ; 11089/4 ; 01/05/05 ; 23/04/05
10 Ayeb abdelberi 11089/4 01/05/05 ; 24/04/05
11 Manai Hicham ; 11089/4 ; 01/05/05 ; 26/04/05
12 Ferchichi Nader ; 11089/4 ; 01/05/05 ; 27/04/05
13 Hammadi Nizar ; 72147/9 ; 30/09/05 ; 21/09/05
14 Med Touhami yaakoub ; 72147/9 ; 30/09/05 ; 25/09/05
15 Chalgoumi Salah ; 71699/10 : 08/05/05 ; 28/04/05
16 Chabbi Ahmed ; 71699/10 08/05/05 28/04/05
17 Naweli Hamza ; 1427/1 ; 29/07/05 ; 26/07/05
18 Chabbi Oussama ; 1427/1 ; 29/07/05 ; 26/07/05
19 Traboulsi Zied ; 1427/1 ; 29/07/05 ; 26/07/05
20 Abid Zied ; 71664 ; 28/05/05 ; 25/05/05
21 Ahmed Med ; 1582/4 ; 29/08/05 ; 08/08/05
22 Makni Jassem ; 8050/10 ; 6 /02/07 ; 17/01/07
23 Rezig Salman ; 5962/1 ; 22/08/06 ; 16/08/06
24 Ali Arfaoui ; 7717/1 ; 16/02/07 ; 23/12/06

Vérité-Action sur la loi antiterroriste, décembre 2006

Vérité-Action
58ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
Etat des droits de l’homme et des libertés en Tunisie : Prise de position

Décembre 2006

La loi anti-terrorisme

Beaucoup de choses ont été dites à propos de cette loi controversée, adoptée en décembre 2003.

La définition ambiguë et vague du terme terrorisme dans le droit tunisien permet au pouvoir de faire usage arbitraire de cette loi. A la lecture de ses articles, l’on constate le caractère généraliste et abstrait de ces mesures. La pratique qui a suivi la mise en application de cette loi a prouvé que l’objectif visé était et demeure le quadrillage de la société et l’exercice d’une mainmise totale de l’Etat sur ses citoyens et la promotion de l’impunité en un « privilège »sous couvert de la loi.

Aujourd’hui on compte près de 400 personnes détenues en vertu des dispositions de la loi antiterroriste qui a donné lieu à une nouvelle vague de procès sommaires et inéquitables dans lesquelles prévaut le secret de l’instruction sur les droits de la défense.

Il n’y a pas une semaine qui passe sans que de nouvelles condamnations soient prononcées à l’encontre de jeunes tunisiens. Les chefs d’inculpations sont souvent dépourvus de preuves matérielles concrètes.

Des sources concordantes, il apparaît que les motifs réels des arrestations relèvent souvent de la pratique religieuse chez les jeunes, la navigation sur des sites interdits de caractère politique et l’appartenance à une organisation terroriste (qui peut être une simple association à but social ou de solidarité), etc.

L’exercice des droits de la défense, initialement restreints, se trouve davantage entravé. La pratique de la torture dont font l’objet ces détenus dits « spéciaux », semble gagner et non perdre du terrain. Quant aux avocats, ils éprouvent toutes les peines du monde pour pouvoir leur rendre visite en raison de leurs lieux d’incarcération lointains et la difficulté d’obtenir des autorisations de visites.

Vérité-Action a pu recenser les différents types de traitements réservés à cette catégorie de détenus et qui ont été enregistrés durant l’année en cours :

- La détention arbitraire dépassant les délais et les garanties prévues par la loi
- La détention dans des lieux secrets et durant des semaines et des mois sans que leurs proches aient le droit de s’informer sur leur lieu de détention.
- Les procès inéquitables.
- Les conditions d’incarcération inhumaines et précaires
- La torture et les mauvais traitements laissant des séquelles graves (cas de Naoufel Sassi, Hichem Ben Said, Tarek Hammami, etc.).
- Les lieux d’emprisonnements lointains et difficiles d’accès pour les proches

Vérité-Action considère que ces deux lois viennent s’ajouter à une panoplie de mesures mises en œuvre par le gouvernement tunisien en vue de limiter la liberté d’expression des citoyens tunisiens. La manière dont elles sont appliquées prouve qu’elles ne visent pas à protéger le pays mais à l’assiéger.