5.1.08

Article de M. Thibodeau d'octobre 2007 : La torture, "système d'Etat" en Tunisie?

Le samedi 27 octobre 2007

La torture interdite ou «système d'État»?

Marc Thibodeau - La Presse, Paris

Le régime tunisien dit interdire le recours à la torture contre les détenus et persécuter systématiquement les agents qui contreviennent à ce mot d'ordre. Les témoignages contredisant ces dires ne sont cependant pas rares.

Jamila Ayed, âgée de 45 ans, affirme que son fils de 26 ans, Maher Bziouech, a été arrêté par le gouvernement à l'été 2006 pour terrorisme, une accusation qui est, selon elle, sans fondement. Il a été condamné à dix ans de prison.

Le jeune homme affirme avoir été torturé sévèrement dans les jours suivants son arrestation. Mme Ayed relate qu'il aurait notamment été battu longuement après avoir été placé dans la position du «poulet rôti». Dans cette technique, la personne se retrouve dénudée, la tête en bas, suspendue en l'air par une barre passée derrière les genoux. Les mains sont attachées près des pieds.

Houda ben Khaled, 43 ans, réclame la libération de son mari, Naoufel Sassi, arrêté lui aussi l'année dernière dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Son conjoint, qui n'a pas encore subi de procès, dit également avoir été torturé, souligne-t-elle.

Il affirme avoir été soumis à la technique du «bano». Le prisonnier, pendu par les pieds avec une corde, est plongé dans l'eau jusqu'à la taille, les mains attachés derrière le dos, et maintenu sans oxygène pendant une longue période.

Les deux femmes disent qu'elles ne craignent pas de s'attirer les foudres du régime en parlant aux médias étrangers. «C'est mieux que de rester les bras croisés pendant dix ans», souligne Mme Ayed.

L'Agence tunisienne de communication extérieure n'a pas répondu aux demandes de La Presse relativement aux dossiers des deux détenus.

Abdelmoumen Belanes, un dissident connu qui a été plusieurs fois incarcéré dans les années 90 en raison de son appartenance à une formation communiste non reconnue par le gouvernement, souligne que le recours à la torture est érigé en «système d'État» en Tunisie.

L'homme de 51 ans affirme avoir été torturé plusieurs fois par les autorités, notamment avec la technique du «bano». «Ils me sortaient à chaque fois que j'étais au bord de l'étouffement et recommençaient dès que j'avais craché l'eau», a-t-il relaté. M. Belanes affirme également avoir été soumis au «poulet rôti» et à des chocs électriques.

L'organisation Human Rights Watch prévenait dans un récent rapport que la Tunisie a «une longue historique de torture et de mauvais traitement de prisonniers».

L'expulsion du controversé imam Saïd Jaziri, qui disait craindre d'être arrêté et torturé à son retour dans son pays d'origine, a relancé l'intérêt pour cette question au Canada.

L'ambassade tunisienne, réagissant au fait que l'imam a pu rentrer sans heurt, a souligné dans une lettre ouverte que le pays est «un État de droit» qui «respecte la dignité humaine, garantit l'intégrité physique et morale de la personne et ne tolère aucun traitement dégradant envers les citoyens.»

Elle a souligné, par la même occasion, la «déplorable surenchère dans la vente du sensationnel» par des journalistes «ayant les yeux fixés sur l'audimat».

http://www.cyberpresse.ca/article/20071027/CPMONDE/710270535/1014/CPMONDE